Famille nombreuse : comment faire pour que chaque enfant y trouve sa place ?

le 14/11/2023 à 17h01 par  - Lecture en 6 min Ajouter à votre selection
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Grandir dans une fratrie de 4, 5 ou 6 enfants peut constituer une formidable aventure, pleine de joie de vivre ! Un enfant peut y apprendre le partage, la solidarité et de belles valeurs. A condition toutefois qu’il réussisse à développer son individualité au sein de ce groupe et à y trouver les conditions de son épanouissement. Ce défi-là incombe aux parents ! Pour le relever, ils auront à déjouer quelques pièges dans leurs choix éducatifs. Les explications et conseils de la psychanalyste Virginie Megglé, auteure de « Frères et sœurs, guérir de ses blessures d’enfance », aux éditions Leduc.

Sur-responsabiliser l’aîné

Pourquoi c'est tentant?

Il faut le vivre pour comprendre la charge de travail énorme que représente une famille nombreuse avec de tout jeunes enfants d'âges rapprochés! Demander à l'aîné un peu d'aide pour s'occuper des plus petits est donc un réflexe assez courant chez les parents. "Il arrive aussi souvent que l'aîné s'installe de lui-même dans cette position de responsabilité sans qu'aucune demande ne lui ait été expressément formulée. Il espère ainsi inconsciemment capter l'attention de ses parents, être encore davantage aimé et valorisé. Et fréquemment, les parents le laissent faire car ils y trouvent leur compte" constate Virginie Megglé.

Pourquoi c'est néfaste?

Le prix à payer est élevé pour l'aîné. "Il est contraint de grandir trop vite, d'être un "grand" avant l'heure. D'une certaine manière, il est privé d'une part de son enfance et de l'insouciance qui va avec. Plus tard, il pourra avoir du mal à s'autoriser la légèreté" note la psychanalyste. Cette position peut en outre parasiter les relations avec ses frères et sœurs. "Il peut avoir tendance à se prendre pour un "parent bis" vis à vis d'eux et parfois même à exercer une autorité excessive" poursuit-elle. Pas idéal pour une bonne entente de la fratrie...

Comment déjouer ce piège?

Rien n'interdit de solliciter de temps en temps son aîné pour un petit coup de main. Mais l'organisation du quotidien ne doit en aucun cas reposer sur sa participation régulière. "Même s'il est mûr, dégourdi et désireux de seconder ses parents, il est un enfant qui doit rester à sa place d'enfant", précise la spécialiste. Une vérité à se répéter régulièrement pour ne pas céder à la facilité! Et lorsqu'il se prend trop pour un parent avec ses frères et sœurs, là encore, un petit rappel à sa juste place s'impose.

Entraver l’autonomie du « petit » dernier

Pourquoi c'est tentant?

Le dernier d'une grande fratrie vient clore un chapitre très particulier dans la vie des parents: après lui, il n'y aura plus de bébé. "Certaines mères et certains pères peuvent avoir le désir que ce temps des corps à corps très charnels et fusionnels avec un tout-petit dure encore un peu. D'où leur tendance, inconsciente, à tout faire pour que ce "petit" dernier ne grandisse pas trop vite. Fréquemment, il est aussi moins l'objet d'exigences parentales que l'aîné" analyse Virginie Megglé. Cet adjectif apposé devant son rang est d'ailleurs révélateur: même jeune adulte, il demeure le "petit" dernier de la fratrie!

Pourquoi c'est néfaste?

Bien au chaud dans le giron de ses parents, le dernier d'une fratrie peut choisir d'en rajouter dans ce statut de "bébé" qui semble tant les combler. "Il ne se presse pas pour gagner en autonomie et apprendre à faire les choses tout seul. De plus, rencontrant assez peu de limites, il peut devenir tyrannique" décrit-elle. Cela dit, cette configuration ne le rend pas vraiment heureux. "Assez vite, il peut se sentir un peu coincé et envier les plus grands, particulièrement l'aîné qui lui est encouragé à déployer ses ailes" observe-t-elle.

Comment déjouer ce piège?

Quand les parents parlent de lui, il est judicieux d'éviter cette expression "petit dernier". "Cet enfant a un prénom, il ne se résume pas au rang qu'il occupe dans la fratrie! Attention aux mots qui emprisonnent" insiste Virginie Megglé. Ensuite, les parents peuvent se livrer régulièrement à une petite introspection susceptible de les aider à rectifier le tir: est-ce que nous étions aussi permissifs avec nos autres enfants au même âge? Ne les avons-nous pas encouragés plus tôt à manger, s'habiller ou se laver tout seuls?

Traiter la fratrie comme un tout

Pourquoi c'est tentant?

"Les enfants, à table!". Une expression bien plus pratique au quotidien que d'appeler chacun des enfants par son prénom! "Matériellement, les parents d'une famille nombreuse ne peuvent être présents pour chacun des enfants, à chaque instant. Ils ont donc souvent recours à des pratiques éducatives englobantes, ils envisagent la fratrie comme un collectif" expose Virginie Megglé.

Pourquoi c'est néfaste?

Lorsqu'un enfant n'est considéré qu'au travers du prisme du groupe, il peut avoir le sentiment de ne pas exister en tant qu'individu. "C'est douloureux car il peut penser que les membres de la fratrie sont interchangeables entre eux. Il ne perçoit pas ce qu'il a d'unique, il ne sait pas qui il est vraiment. Pour grandir et affirmer son identité, un enfant a besoin que ses parents, à certains moments, posent sur lui un regard individualisé et privilégié" souligne la psychanalyste.

Comment déjouer ce piège?

Concrètement, il s'agit de dégager dans l'emploi du temps des moments à passer en tête à tête avec chacun des enfants. "Avec les deux parents, avec la mère seule ou le père seul selon les possibilités, autour d'activités qui lui plaisent à lui, en veillant à lui laisser de l'espace pour s'exprimer et s'affirmer" suggère la psychanalyste.

Ignorer les jeux de pouvoirs au sein de la fratrie

Pourquoi c'est tentant?

Au sein d'une fratrie nombreuse, il existe souvent des "sous-groupes": les petits d'un côté, les grands de l'autre ; les filles d'un côté, les garçons de l'autre. "Des jeux de pouvoir peuvent alors apparaître entre ces clans, avec des dominants et des dominés. Certains parents, partant du principe que ce sont des affaires d'enfants et aussi parce qu'ils préfèrent s'accrocher à une image idéalisée de la fratrie, refusent de s'en mêler" dépeint Virginie Megglé.

Pourquoi c'est néfaste?

Lorsqu'un enfant n'est pas limité dans ses pulsions agressives et d'intimidation, il peut aller très loin. "C'est ainsi que l'on voit parfois des plus jeunes littéralement brimés par les plus grands! Si les parents laissent ces relations délétères s'installer au sein de la fratrie sans intervenir, les enfants en resteront durablement marqués et pourront avoir tendance à les reproduire à l'extérieur" alerte-t-elle.

Comment déjouer ce piège?

Garder les yeux grands ouverts quand les comportements des enfants ne correspondent pas au mythe de la fratrie nombreuse à l'entente parfaite n'est pas toujours aisé. Et pourtant, il faut s'imposer cette discipline! "Dès qu'un des clans se comporte en dictateur avec les autres ou les maltraite, il est indispensable de lui opposer un stop très ferme. Pour cela, mieux vaut le prendre à part afin de lui signifier que sa manière d'agir n'est pas respectueuse des autres. Aimerait-il qu'on le traite ainsi?" propose la spécialiste. Certainement pas!

Quelques livres à lire

© Editions Leduc

Frères, soeurs: guérir de ses blessures d'enfance- Se débarrasser enfin des rivalités et des jalousies qui vous empoisonnent la vie, de Virginie Megglé et Alix Leduc

Virginie Megglé est psychanalyste spécialisée dans les dépendances affectives et les troubles de l'enfance et de l'adolescence. Sa pratique s'étend aux constellations familiales, au transgénérationnel et à la psychosomatique. Elle est également fondatrice de l'association et du site Psychanalyse en mouvement.
Alix Leduc est journaliste indépendante et écrit notamment pour Marie Claire. Elles est également pianiste, passionnée de musique et jeune maman.

© Editions du Phare

Frères et soeurs sans rivalité: Manuel de survie pour une famille plus sereine, d'Adele Faber et Elaine Mazlish, Éditions du Phare, 2023, Canada.
À partir de leurs expériences personnelles et des centaines d'ateliers qu'elles ont menés partout aux États-Unis, les auteures ont développé des façons simples – mais étonnamment efficaces – de réduire les conflits entre frères et soeurs.

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